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MARIE, CELLE QUI « KIFFE » SON METIER DEPUIS PLUS DE 20 ANS

C’est suffisamment rare pour en faire un gros titre !

Comment est-ce possible ? Une vocation précoce, une chance insolente ?

Marie ne rêve pas d’être investisseuse en capital risque depuis toujours. Elle n’a pas non plus trouvé son « job de rêve » au sortir des études.

Ce « kiff longue durée » a plutôt été nourri par une manière bien particulière de faire des choix, de questionner, de ne pas se vouer aux « Saints Référentiels ».



La chaîne de questions.


Une des règles du jeu du blog est que l’invité(e) du jour répond à la question posée par l’invité(e) précédent(e).


Pour Marie, la question est la suivante :


« Peux tu nous parler de la dernière fois où tu as fait quelque chose pour la première fois ? »




« Oui, je suis restée bloquée dans un terminal de transit à l’aéroport en Suède parce que mon test Covid n’était plus valide depuis quelques heures. Je me suis alors retrouvée dans un espace temps totalement à part, une parenthèse de non droit, sans repères. Le changement a été brusque, sans progression incrémentale. Alors le temps se distord, les rendez-vous pris n’ont plus aucune importance. Il faut se recréer un espace d’habitudes, de nouvelles solidarités. »


Je pose à Marie la question rituelle :

Aujourd’hui, dans ta vie professionnelle, es-tu plutôt ?

A/ Sur une autoroute

B/ A un carrefour

C/ En train de tourner autour d’un rond-point sans savoir quelle sortie prendre

D/ En pleine étude de marché pour t’acheter un GPS


=> « Réponse B, même s’il s’agit plutôt d’un tournant, dans lequel je suis bien engagée et certaine d’être dans la bonne direction ».


Entrons dans le vif du sujet !


Marie est aujourd’hui investisseuse et fondatrice de 2050, une société de gestion totalement innovante dont la mission consiste à orienter les financements vers des entreprises sélectionnées pour leur capacité à façonner un avenir fertile, du moins à y contribuer.


Marie, combien de métiers as-tu ?


« Deux ! Mon métier cœur est l’accompagnement d’entrepreneurs. Mon second métier est d’élaborer la vision de 2050, la promouvoir, construire la structure qui va permettre de l’exécuter (incluant la levée de fonds et le management, principalement via l’empowerment et la posture).

En synthèse, je crée des ponts et favorise des implémentations croisées entre les deux. »


Comment pourrais-tu expliquer ces métiers à un enfant en une phrase ?


« Mon métier cœur, c’est accompagner les entrepreneurs en leur donnant des moyens financiers et du soutien pour leurs projets. Je choisis ces projets s’ils me permettent de m’imaginer dans un futur dans lequel j’ai envie de vivre.


Pour pouvoir accompagner les entrepreneurs et leurs projets, il faut obtenir de l’argent. Il faut aussi construire les outils et le savoir pour sélectionner, aider et accompagner ces entrepreneurs. »


Est-ce que tu connaissais l’existence de ce métier quand tu étais enfant ?


« Pas du tout ! »


Marie n’a jamais postulé pour devenir investisseuse.


C’est en rencontrant plusieurs personnes après l’obtention de son DEA d’économie que son choix et son parcours s’affinent. Quand elle est à un carrefour, Marie aime « rencontrer plein de gens ».


En 2000, le conseil récurrent qu’elle reçoit est d’aller travailler en start-up. Elle rencontre Xavier Lazarus, qui représente le parfait point d’entrée vers cet univers puisque son cœur de métier est d’investir en capital risque. Passionné par l’entrepreneuriat et la technologie, il co-fonde Elaia peu de temps après.


Plutôt visionnaire, il propose plutôt à Marie de venir travailler à ses côtés. Elle est à l’aise avec la finance et la technologie et sa curiosité sera assouvie.


Avec le recul, Marie explique qu’elle aime « passer du temps avec de nombreux fondateurs et fondatrices qui ont approfondi leurs sujets ». Pour elle qui adore apprendre et tisser des liens, c’est l’un des ingrédients fondamentaux de son engouement pour ce métier. Accompagner des entrepreneurs, c’est aussi « participer à des aventures et agir, être utile, surmonter ensemble les difficultés, enrichir son expérience ».

Ce sont tous ces leviers qui font que Marie « kiffe encore son métier 21 ans après » et continue à le faire évoluer jour après jour.


Est-ce que ce métier existait quand tu étais enfant ?


« Oui si on revient à la définition originelle du métier de banquier. Accompagner, financer, nouer une relation de confiance. »


« L’activité d’investisseuse peut aussi se rapprocher de celle du sponsor ou du mécène ». Nous commençons à parler du rôle des mécènes auprès des artistes vénitiens ou plus récemment de la relation entre Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, mais il faut retrouver le fil rouge de l’interview.


Quel métier voulais tu exercer quand tu étais enfant ? Pourquoi ?


« Aucune idée » !


Enfant, Marie ne se sent tout simplement pas préoccupée par ces sujets professionnels, les métiers, la carrière… Elle profite d’une enfance plutôt insouciante. Apprendre lui suffit. Elle pratique les claquettes, le volley…


Pour Marie, cette insouciance vient aussi de la confiance que ses parents lui insufflent. Elle n’a pas peur de l’inconnu, ce qui est à la fois une chance et un moteur.


Un peu plus tard, elle teste plusieurs activités, plusieurs branches. Notamment, le métier de son père, chercheur en mathématiques, « a l’air super cool ! Pour les voyages, les rencontres, les défis et problèmes à résoudre. » Mais le stage que Marie effectue dans ce domaine ne l’enthousiasme pas.


Elle s’oriente donc après le bac vers une formation très professionnalisante.


Est-ce que tu retrouves ces dimensions dans ta vie professionnelle actuelle, à savoir le goût pour l’expérimentation, une certaine aisance même en univers incertain ?


« Oui ! Je ne sais pas ne pas avancer ».


D’ailleurs, l’un des rôles que Marie prend à coeur chez 2050 est d’insuffler à l’équipe une bonne dose de confiance, l’assurance que la voie est la bonne. « Même si toutes les réponses ne sont pas certaines aujourd’hui, c’est le chemin qui est important ». En particulier, la construction et l’enrichissement des liens permettent d’évoluer en équipe sur ce chemin et de nourrir les personnes et les projets.


Marie ne « sait pas ne pas avancer ». D’ailleurs quelqu’un lui pose un jour cette question : « quel effet ça vous fait d’avoir réussi à 40 ans ? ».

Marie est terrifiée car réussir signifie pour cette personne gagner de l’argent. Or, c’est nécessaire mais pas suffisant. Nos deux protagonistes ne sont pas du tout calés sur le même référentiel. Et surtout, « après avoir réussi, que fais-tu ? Tu meurs ? Et comment dire que tu as réussi quand tu vois l’allure du monde, tout ce qu’il y a à faire ». La force vitale, le goût pour la liberté, ne s’arrêtent ni à 40 ans, ni avec la réussite, ni avec l’argent, fort heureusement.


Dans ton métier actuel quels sont les 3 éléments principaux qui te font vibrer ?


« Les gens, les rencontres, et faire ensemble avec cette énergie qui remplit ».


« La liberté de réaliser des choses qui me ressemblent, cet état qui permet d’aller au plus près de ce que je suis, d’élargir le champ des possibles, de s’affranchir des carcans ».


« Le besoin de se sentir utile. Déceler des problèmes, les modéliser, définir une action, puis itérer ».


Si Marie devait noter sa situation professionnelle actuelle entre 1 et 10


Et bien elle choisirait plutôt des émoticônes « soleil, mer, arbre, cœur » 🌞 🌊 🌳❤️


Comment en es-tu arrivée à ta situation professionnelle actuelle ? Est-ce que ça s’est fait de manière évidente et linéaire ou est-ce le fruit de réels choix ? As-tu souvenir de réels moments charnières te menant à cette situation professionnelle ? Comment, selon quels critères, t’es-tu orientée dans ces moments là ?


Le parcours de Marie est en ligne avec une phrase que son père lui a dite et qui l’accompagne au quotidien : « il n’y a pas de bons ou mauvais choix, il y a des choix qui sont faits à temps ».


Pour Marie, cela signifie que « ne pas prendre une décision est une décision ». « Et qu’il y a beaucoup moins de risques à prendre une décision qu’on ne le croit ».


Elle prend assez tôt des décisions qui ne sont pas reconnues ou induites par le référentiel social.


Ainsi, après son année de terminale au lycée Louis le Grand, elle choisit de ne pas entrer en classes préparatoires. Ce système ultra compétitif et spécialisé ne lui correspond pas. Elle a besoin de travailler avec, et non pas contre, les autres.


Marie n’est pas effrayée par le travail, mais plutôt par le fait d’être monomaniaque dans le travail et d’y consacrer toute sa vie. Elle a aussi besoin de voir des films, des concerts, sa famille, ses amis, et de temps pour pratiquer le sport de haut niveau.


Ce premier choix est réalisé assez tôt, pour de multiples raisons. A cette époque Marie ne verbalise pas très précisément les raisons de son choix mais elle sait ce qui est susceptible de la rendre malheureuse. En Terminale son corps lui dit que ça ne va pas, et il faut apprendre à l’écouter.


Les choix suivants sont plus simples, même s’ils s’inscrivent majoritairement dans des moments charnières marqués par des dissonances.


🔹Quitter J.P. Morgan pour reprendre des études après seulement 3 ans d’une carrière explosive. Chez J.P. Morgan Marie gère le support d’une application de trading sur produits dérivés, afin que la banque, par l’intermédiaire de ses traders, s’enrichisse toujours davantage. Cette mission n’a que très peu d’utilité aux yeux de Marie, ce qui la pousse à reprendre ses études pour apprendre autre chose.


🔹Entrer dans l’univers du capital risque. D’ailleurs cela ne constitue pas un carrefour mais s’inscrit plutôt dans une suite logique.


🔹Créer France Digitale, cette fois-ci en étant à l’initiative de l’aventure. « Lancer un projet et le porter, c’est possible ! ». France Digitale est une organisation qui regroupe les acteurs du numérique européens, en vue de promouvoir l’émergence de champions dans cet écosystème, notamment grâce à des actions de lobbying. L’organisation est née du constat qu’il existe des freins à la croissance dans l’univers réglementaire français et qu’il faut une action systémique pour encourager le déploiement de ce secteur.


🔹Quitter Elaia pour cause de dissonance entre son discours et ses actes. Marie souhaite faire évoluer le métier. C’est en ce sens qu’elle avance avec France Digitale. Il s’agit alors de « remplir un vide politique ». Les startups ont un poids économique certain mais une représentation politique faible. Pour infléchir cette situation, l’un des leviers est de vulgariser et rendre accessible le monde et la vie des startups, à destination de la sphère politique mais aussi des grands groupes, dont les visions croisées peuvent d’ailleurs s’alimenter réciproquement. Une autre conviction forte que Marie promeut est celle de l’existence d’un ADN européen. Le numérique européen est bien différent du numérique américain par exemple. Et l’argent doit être fléché tout particulièrement vers l’Europe. Cette vision et cette compréhension des enjeux, Marie les porte au sein de France Digitale, mais ne parvient pas à les appliquer pleinement au sein d’Elaia.


🔹Démissionner du CNNum (le Conseil National du Numérique) et quitter daphni. Aujourd’hui Marie voit ces décisions comme des inflexions de son parcours qui lui ont permis de concentrer son action vers 2050, en prenant appui sur des ingrédients déjà présents. Se concentrer sur l’ADN européen, appliqué au secteur du numérique notamment, est nécessaire mais pas suffisant. Il faut y ajouter une intention claire. Il faut surtout prendre conscience que la transition, avant d’être numérique, est environnementale et sociale. Le modèle du capital risque doit servir et soutenir une transition vers un futur fertile. L’argent qui circule via ce modèle doit servir à façonner une société dans laquelle nous voulons vivre. « Pointons cette intention, la réussite en découlera ».


Si c’était à refaire, ferais-tu les mêmes choix ?


« Oui. Je me retourne très peu sur mon passé ».


Est-ce que certaines personnes t’ont influencée, aidée, guidée ?


« Mes parents, ma famille en général, une famille très soudée et ouverte sur le monde, sur la différence, très hospitalière ».


« Philippe, mon mari ». Il est anesthésiste en pédiatrie, un métier qu’il exerce avec une grande simplicité, qualité que Marie admire et qui lui permet aussi de relativiser toutes les situations professionnelles dont l’enjeu vital est bien moindre.


« Xavier Lazarus qui m’a appris le métier au début »


« Tous les entrepreneurs accompagnés ».


Marie marque une petite pause et réalise qu’elle ne tient pas compte de la notion de hiérarchie dans les relations qu’elle noue. Elle ne regarde pas les gens d’en bas, comme l’on pourrait regarder un mentor. Elle ne les considère pas non plus de haut, et avoue ainsi être très influencée par les jeunes avec lesquels elle travaille.


Et du côté des femmes, « la puissance féminine » ? Marie pense à Flore Vasseur, « sa puissance, sa force » et Rachel Delacour, qui l’impressionne par sa capacité à entreprendre.


« Tous les soutiens qui se sont manifestés pendant la période CNNum ».


« Les gens qui me font confiance, comme Eric Carreel qui me soutient depuis le début. Mais aussi Ed Zimmerman, qui m’a boostée en me faisant prendre conscience que j’étais la première femme au monde à avoir levé un fonds de plus de 200 millions de dollars ».


Avec Olivier Mathiot, l’histoire s’écrit en plusieurs chapitres : ils ont co-présidé France Digitale, et aujourd’hui allient leurs forces pour faire grandir 2050. Entre eux il y a une « confiance induite, un soutien indéfectible, une solidarité, une évidence ».


Marie pense aussi à ses groupes d’amis du volley, du lycée…


Que voudrais tu dire à la personne que tu étais à l’époque pour la guider dans ces moments charnières ?


« L’essentiel serait de lui faire sentir qu’elle peut s’affranchir plus vite. L’aider à réaliser que nous évoluons dans un référentiel de bienséance qui pousse souvent à ne pas faire de choix. L’inviter à s’abstraire d'une pensée normalisante pour se questionner vraiment. A toi, qu’est-ce qui te plaît ? »


Petite, Marie était plus forte en maths et courait plus vite que les garçons. Elle n’était déjà pas là où les gens l’attendaient ! Elle n’a pas subi de freins dans l’accès à certains domaines. En revanche si elle devait aujourd’hui s’adresser à la petite Marie de l’époque, elle tenterait de « trouver les mots pour la soulager du manque de reconnaissance lié au fait d’être positionnée ailleurs, autrement... ». Elle voudrait l’encourager à adopter un certain détachement, déjà en partie touché du doigt par la pratique sportive d’ailleurs. Et surtout elle lui dirait « Sache que tu ne peux pas plaire à tout le monde ».


Que voudrais-tu ajouter / changer / renouveler dans ta situation professionnelle actuelle ?


Marie aimerait voyager de nouveau. Mais le dilemme est fort entre vouloir créer un monde durable, ce qui passe par la réduction des voyages en avion, et créer des liens de confiance en étant immergée près des entrepreneurs ou investisseurs basés à l’étranger.


Comment vas-tu faire ? Quel est le bon équilibre ?


Probablement « réduire mes déplacements, partir plus longtemps, avoir un rapport au temps plus long, et par conséquent adapter mon mode de travail ».


Quel est ton pari pour l’avenir ? Quelle route vas-tu prendre à ton avis ?


« Je souhaite que 2050 soit nourri tout au long de son chemin par toute la recherche, les rencontres, la liberté et l’utilité possibles ».


Qu’emportes-tu dans ton sac pour y aller ?


« Ma famille, des livres, de la musique, mon équipe, des artistes, un ordinateur connecté »


La boussole de tous les aventuriers indique le Nord. Et la tienne ? Autrement dit : quelle est la valeur fondamentale à laquelle tu ne veux pas déroger ?


« La cohérence, l’alignement »


Et pour finir : 1 mot, 1 photo


Si Marie devait laisser un message sur un petit caillou blanc sur le sentier pour les prochains voyageurs, elle écrirait dessus :


« Profite du paysage ».


Quant à l’image, une fois n'est pas coutume, je choisis l'image qui m'inspire parmi plusieurs photos prises par Marie.


Celle-ci me semble idéale car elle représente un écosystème riche, varié, coloré, ainsi qu'une chasseuse cueilleuse en pleine action. Et surtout la possibilité devant ce tableau de laisser libre cours à son imagination !

Photo : Marie Ekeland




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