La flânerie, ce n’est ni l’oisiveté, ni la nonchalance. C’est assumer d’occuper l’espace et le temps. C’est prendre sa place à chaque instant. Oser la créativité. Flâner seule ou accompagnée. La flânerie, c’est puissant !

La chaîne de questions.
Une des règles du jeu du blog est que l’invité(e) du jour répond à la question posée par l’invité(e) précédent(e).
Je transmets donc à Laure cette question :
« Quelle est ta plus grande peur ? ».
Sans hésitation, ce serait de ne pas être au présent de ses désirs et envies.
Je pose à Laure la question rituelle :
Aujourd’hui, dans ta vie professionnelle, es-tu plutôt ?
A/ Sur une autoroute
B/ A un carrefour
C/ En train de tourner autour d’un rond-point sans savoir quelle sortie prendre
D/ En pleine étude de marché pour t’acheter un GPS
=> Réponses « A et B ». La combinaison de l’autoroute et du carrefour peut sembler bien dangereuse du point de vue du Code de la Route. Laure explique néanmoins avec sérénité que l’autoroute symbolise une dynamique de travail intense, alors que le carrefour signifie que de nouveaux projets se dessinent.
Le B-A-BA de la flânerie
Où flâner ? Quand flâner ? Comment flâner ?
Pour Laure, les sentiers de flâneries ont toujours été assez bien identifiés : l’écriture, la danse, le jeu d’actrice. Leur tracé a peu varié depuis l’enfance. Laure entre dans la vie professionnelle après une formation d’actrice. Puis elle explore d’autres facettes : réalisatrice de courts-métrages expérimentaux, écrivain. Son premier roman, Et d'abord le regard, paraît en mai 2021.
Finalement, peu importe le lieu de la flânerie, c’est surtout le temps (présent) de la flânerie qui compte !
D’ailleurs, Laure n’a aucune envie de changer de style de vie professionnel. Elle vise le présent sans cesse renouvelé, ce que son métier lui offre par essence. Elle fuit l’habitude, les CDI, et le risque de se déporter à un endroit non souhaité, hors-champ.
Flâner, c’est aussi occuper le terrain, voire la scène, de manière très libre. Changer de décor, passer d’un endroit à l’autre, multiplier les transitions et les rebondissements. Laure craint l’enfermement, les cases. Parfois pourtant il faut catégoriser les genres, littéraires notamment. Pour le roman de Laure, c’est « littérature du réel ». Pas évident pour quelqu’un qui aime brouiller les frontières de la réalité et de la fiction.
Le balluchon de la flâneuse.
Pour négocier au mieux transitions et rebonds, Laure emporte dans son balluchon de flâneuse : des livres, des films, de la musique, des disques, un thermos de café, des compagnons et compagnonnes.
Et une boussole.
La boussole de tous les aventuriers indique le Nord. Et celle de Laure, qu’indique-t-elle ? Autrement dit : quelle est la valeur fondamentale à laquelle elle ne veut pas déroger ?
« Etre au présent de ses envies. Avancer avec courage et témérité, sans peur, et avec un regard constamment renouvelé ».
Flâneries partagées
Ce qui fait vibrer Laure dans sa vie professionnelle actuelle, ce sont les aventures collectives. Elle travaille souvent avec les mêmes personnes. Alors le partage se fait dans l’instant, autour de la nécessité de raconter des histoires. Si Laure devait expliquer son travail à un enfant, ce serait : « Raconter des histoires, avec des moyens différents, de façons différentes ». Elle aime les histoires, la fiction, qu’on lui raconte des histoires, et en raconter à son tour. Cette joie, cet accomplissement et cet épanouissement professionnels viennent clairement du partage, du fait de recevoir et de donner à son tour.
L’écriture du roman est une aventure beaucoup plus solitaire, dont le temps de partage se situe essentiellement après sa sortie.
Parfois, le partage et les propositions intéressantes rencontrent les limites du réel et du calendrier. Laure doit refuser quelques projets à contre cœur, comme sa venue au festival de Sundance, où son film Tandis que je respire encore était projeté, pour cause de création théâtrale.
D’autres fois, le partage rencontre la superstition ! Et c’est le moment de baisser le rideau sur les différents projets en devenir dont Laure ne parlera pas aujourd’hui.
La flâneuse assumée
Tellement assumée que quand je propose à Laure de noter sa vie professionnelle actuelle sur une échelle de 1 à 10, elle me répond : « Emoji FEU 🔥» !
« Feu » certes, mais parfois à petit feu… Laure assume de travailler « comme un diesel ». C’est ainsi qu’elle écrit son roman. Il met en scène autour d’un cabaret de striptease des personnages de femmes qui sont absolument maîtresses de leurs vies. Ce projet a beaucoup incubé, mûri. Laure l’aborde sous tous les angles avant de se lancer dans l’écriture à proprement parler. Elle créé des spectacles et des performances autour de cette thématique, avec en toile de fond le projet d’écriture.
Qu’est-ce qui lui donne l’impulsion au moment de se lancer dans le roman ? « A un certain point de bascule, il aurait fallu déployer une énergie considérable pour développer cette thématique sous la forme d’un spectacle, avec toute l’organisation humaine et financière attenante ». Donc Laure se plonge dans le travail plus solitaire du roman. Aujourd’hui elle est heureuse et très satisfaite, malgré le trac.
Est-ce un trac similaire à celui qu’éprouve une actrice, ou même une réalisatrice ? Oui, mais démultiplié...
Quel rôle Laure préfère-t-elle ? La question est ailleurs. Ce qui importe, c’est surtout qu’elle puisse s’attribuer ses propres rôles.
Flâner, oui mais…
Qui distribue les rôles ? Flâner oui, être ballotée non.
Laure a bien quelques doutes à l’adolescence quand il faut faire des choix. S’orienter vers une carrière artistique n’est jamais évident. Pas de stabilité. Uniquement des CDD non renouvelables. Peur de ne pas y arriver. Laure vit comme un véritable « adoubement » son entrée dans une école nationale de théâtre (ENSATT, ancienne Rue Blanche). Cette formation théâtrale lui procure une certaine légitimité, qui aujourd’hui constitue le fil rouge et la ligne directrice de sa trajectoire professionnelle.
Laure ne s’inscrit pas dans le cliché de l’actrice qui enchaîne les castings à la sortie de l’école, puis attend. Elle a dû en passer moins de 10 à ce jour. L’une des auditions proposées était pour une compagnie de théâtre avec laquelle elle a travaillé plusieurs années. Laure accorde une grande valeur à la fidélité dans le travail, aux aventures collectives.
Par-dessus tout, Laure est à l’origine de nombreux projets, au cœur des projets, dans le processus d’écriture, de conception… Ainsi elle ne dépend pas du désir des autres, ce qui lui serait « insupportable ». Elle n’est pas passive mais active, actrice.
Jouer la flâneuse
Flâner c’est être actrice et spectatrice, se fondre dans le décor, s’en imprégner et l’imprégner. Jouer la flâneuse. Je flâne. Jeu flâne.
Et pour finir : 1 mot, 1 photo
Si Laure devait laisser un message sur un petit caillou blanc sur le sentier pour les prochains voyageurs, elle écrirait dessus :
« On y va. – Mais où ? – Je sais pas, mais on y va. » Jack Kerouac, Sur la route

L’image qui inspire Laure : Anna Karina dans Une Femme est une Femme de Jean-Luc Godard.